Mezinárodní organizace divadelních knihoven, muzeí, archivů a dokumentačních středisek

Archives de Činoherní klub, Prague, SIBMAS Munich 2010

Mesdames, Messieurs

Le théâtre dont je vais vous entretenir avec plaisir maintenant s´appelle Činoherní klub (Le Club dramatique, Drama Club, Der Schauspielklub). Il a été fondé à Prague en 1965 et existe jusqu´à ce jour. Pendant les brillantes sept premières années, il a été façonné par un groupe d´hommes de théâtre dont la majorité avait étudié à AMU (Conservatoire national) dans les années suivant le „dégel“ après la mort de Staline, et avait rencontré des personnalités de la culture d´avant-guerre et aussi ceux qui après Février 1948 avaient utilisé le théâtre à des fins de pouvoir. En 1956, après „le dénoncement du culte de la personnalité“, la tension dans la société a diminué lentement: à la direction du Théâtre National, il y avait Otomar Krejča, Alfréd Radok pouvait mettre en scène, à la Redoute Ivan Vyskočil ouvrait avec ses „text-appeals“ le chemin à d´autres petits théâtres, en 1958 le Piccolo Teatro est venu à Prague avec Serviteur de deux maîtres. De nouveau au théâtre se multipliaient les événements, où l´art du comédien pouvait se manifester librement dans une ligne de jeu naissant du mime – de l´imagination ludique de l´acteur, du désir et du besoin d´exprimer de tout son être sa propre idée sur le monde.

En 1962 est né le Studio théâtral d´Etat et en 1965, le directeur Miloš Hercík a rendu possible la création de deux théâtres qui voulaient rechercher les nouvelles possibilités théâtrales: Au Théâtre za branou (Théâtre derrière la Porte), l´auteur Josef Topol, le dramaturge Karel Kraus et le metteur en scène Otomar Krejča se sont consacrés au drame poétique et le Činoherní klub a attiré l´attention sur les acteurs. Tandis qu´au Théâtre Na zábradlí (Théâtre sur la balustrade), Václav Havel et Jan Grossman mettaient l´accent sur l´effet du système social sur les gens, au Činoherní klub le directeur artistique et dramaturge Jaroslav Vostrý formulait un programme „pour le jeu des acteurs“: „La découverte des possibilités de l´acteur est d´après nous la découverte des possibilités de l´être humain. Et c´est de lui qu´il s´agit dans l´art théâtral.“ L´examen des rapports de l´homme à la réalité du point de vue de l´homme lui-même et sous tous les angles possibles (dans un Etat socialiste derrière le rideau de fer, à un moment historique intense – avant et après l´occupation en 1968) dans un esprit communautaire extrèmement ouvert et tolérant, comme si les gens étaient tous d´accord d´avance. Le Činoherní klub reposait sur la base du volontariat et offrait à chacun le droit d´être co-auteur. L´auteur dramatique et metteur en scène Ladislav Smoček, auteur du spectacle d´ouverture Pique-nique, a décrit dernièrement son expérience d´un tel travail en commun de création comme „la certification de son propre ,moi´ par le ,moi´ de quelqu´un d´autre, par le jeu, le vrai contact avec les autres“.

La qualité d´auteur en tant qu´expression créatrice „venant de soi et au nom de soi“ était la ligne même de la dramaturgie: Ladislav Smoček a présenté dans les premiers temps quatre de ses pièces, Alena Vostrá a écrit deux pièces sur mesure pour les acteurs, on a joué une pièce de l´acteur Pavel Landovský et on a donné la remarquable dramatisation de Crimes et châtiments de Dostoïevski, du Candide de Voltaire et une adaptation du Précepteur de Lenz. On a joué aussi Pension pour hommes seules de Sean O´Casey, Zoo Story d´Edward Albee, les Justes de Camus, la Mandragore de Machiavel, le Révizor de Gogol, l´Anniversaire de Pinter, Sauvés de Bond, la Cerisaie de Tchekhov, les Bas-fonds de Gorki. C´est là qu´ont débuté au théâtre les cinéastes Jiří KrejčíkJiří Menzel et Evald Schorm. Le duo Jan Vodňanský et Petr Skoumal, compositeur attaché au théâtre, y a donné trois programmes musicaux. Voilà quel a été le répertoire des sept premières saisons. Après l´année 1972, beaucoup durent quitter le Činoherní klub, dont Jaroslav Vostrý. Pendant les années de „normalisation“ qui ont suivi, le théâtre a lutté pour survivre, aidé par la fidélité du public.

Les archives des années 1965-1972 constituent une superbe collection de critiques et d´articles écrits par d´éminents spécialistes et des publicistes enthousiastes de New York à Tokyo. Le tout est recueilli dans vingt grands dossiers noirs, avec un classement selon les mises en scène et les saisons en deux parties , l´une pour les critiques tchèques, l´autre traduite en tchèque pour les critiques étrangères. C´est le témoignage qui nous reste de ce que le Činoherní klub a apporté au théâtre européen au tournant des années 60-70. Le premier déplacement à l´étranger a eu lieu en mai 1966 à Munich où l´on a joué au Theater in der Brienner Strasse les pièces en un acte de Ladislav Smoček le Labyrinthe et l´Etrange après-midi du docteur Zvonek Burke et la Mandragore de Machiavel. Le célèbre critique allemand Herbert Ihering a écrit à ce sujet: „Une expérience audacieuse sans bases mais avec une imagination mimique sans précédent. C´est une représentation qui se meut véritablement à la limite d´une conception inamicale de l´oeuvre, car ce n´est pas le contenu de la Mandragore de Machiavel que l´on joue ici, c´est plutôt un tourbillon de baladins autour de l´année 1500. (….) Les Pragois jouent de façon si libérée que l´on oublie le sens de la pièce et que l´on suit avec passion la manière de jouer. La maîtrise artistique est remarquable. Ce qu´a réalisé Jiří Menzel, le metteur en scène, avec les comédiens František Husák, Jiří Hrzán, Petr Čepek, Jiří Hálek, Věra Ferbasová, Jiřina Třebická, Jana Břežková et Josef Somr, est proprement phénomènal.“

Les pièce en un acte de Ladislav Smoček ont été aussi présentées avec succès en 1967 en Suède et au Danemark. Elles furent jouées en 1969 à la Biennale de Venise, où Raul Radice écrivait: „Dans l´Etrange après-midi du docteur Zvonek Burke, les racines de l´oevre sont compatibles avec les schémas de la commedia dell´arte, mais elles se nourrissent en réalité de moyens farcesques qu´utilisaient les créateurs de films grotesques muets dans la première décade du siècle. Nous devons aussi rendre compte que, dans la personne de Burke, telle que Smoček l´a créée, nous pouvons trouver un parent important du répertoire contemporain de Courteline à Ionesco. (…) Nous avons rarement pu voir jouer des acteurs avec un enthousiasme, une intelligence et une bravoure pareils.“

Dans le journal Die Welt, Friedrich Luft a écrit en 1969 sur l´Anniversaire de Harold Pinter dans la mise en scène de Jaroslav Vostrý: „Le potentiel artistique des acteurs est merveilleux. Ils ont tous d´énormes capacités dans les rôles de caractère, tous sont parfaitement à leur aise à l´extrême limite de la farce. Pas même en Angleterre, Pinter n´est joué de cette façon à la fois comique et effrayante. (…) Au début on ne fait que rire, jusqu´au moment où l´on se sent subrepticement pris à la gorge.“

En mars 1970, le Činoherní klub a ouvert le festival World Theatre Season, où il a présenté à côté de la Mandragore et de la pièce d´Alena Vostrá Sur qui tombe le sort (Na koho to slovo padne)le Révizor de Gogol dans la mise en scène de Jan Kačer. Je cite la critique d´Irving Wardle: „Chez les acteurs de Kačer, le grotesque prend la forme d´une sorte de superréalisme: des personnages humains examinés au microscope, gonflés dans des proportions gargantuesques, mais jamais au détriment de leur lien avec le naturel. Le résultat en est un style de farce épique, aussi éloigné de la tradition anglaise que française, instrument idéal pour communiquer une oeuvre qui est à la fois mortellement sérieuse et hystériquement comique“.

Une autre pièce d´Alena Vostrá a été jouée à Bergen et à Oslo. A son sujet, Sigmund Torsteinson a écrit: „Le spectateur commence tout de suite à s´intéresser au destin des personnages de la pièce ,A couteaux tirés´ (Na ostří nože), tous les personnages sont finement caracterisés, dans chaque mouvement on peut sentir une grande culture théâtrale, les solutions scéniques sont tout aussi remarquables. (…) Nous gardons souvenir des visages qui nous ont parlé depuis le plus profond de la nature humaine – et celui de monsieur le Héros en tout premier lieu, avec son éternel regard impuissant de voyageur sans but.“

La Cerisaie de Tchékhov a été présentée à la Biennale de Venise en 1970. Dans 24 quotidiens italiens, les critiques ont admiré tout particulièrement la Ranevskaïa de Věra Galatíková, le Lopakhine de Pavel Landovský et le Trofimov de Josef Abrhám. Dans la traduction sans lyrisme de Leoš Suchařípa est la direction de Jan Kačer, la mise en scène révélait l´ambiguïté de la langue de Tchékhov et s´ouvrait aux éléments comiques. Puis en 1972, Ritva Särkisilta écrit en Finlande: „Quelque part entre les traditionnels Tchékhov et Gogol se trouvent les personnages du Činoherní klub. Ils sont trop risibles et mortels pour être vus à travers une forte sentimentalité.“

En 1973, il n´a plus été possible au Činoherní klub de répondre à l´invitation de Peter Daubeny pour le jubilé à Londres du World Theatre Season. Les instances officielles ont même fini par interdire le déplacement, alors que le secrétaire du ministre des Affaires étrangères avait expressément promis à Daubeny que personne n´empêcherait la participation du théâtre.

Sur les mises en scène d´alors, beaucoup de critiques et de gens de théâtre célèbres ont écrit: je ne citerai que Kenneth Tynan, Peter Roberts, Hilary Spurling, John Barber, Peter Ansorge, Hanns Braun, Georges Schlocker, Jarl W. Donnér, Göran O´Eriksson, Carin Mannheimer, Arturo Lazzari, Roberto de Monticelli, Paolo Emilio Poesio, Jarka M. Burian, Anatolij Efros, Alexandr Svobodin, Jan Pavel Gawlik, Elżbieta Wysińska, Helmut Kajzar, Éva Mezei, Gábor Mihályi parmi d´autres.

Cette précieuse partie de nos archives a survécu grâce à Jaroslav Vostrý qui l´a conservée dix-sept ans dans son appartement privé. Treize albums contenant les contacts et les négatifs des excellentes photos de Miloň Novotnýont été aussi conservés. Grâce aux soins de l´historienne d´art Anna Fárová, il existe de superbes affiches du graphiste Libor Fára qui est aussi l´auteur du logo du théâtre utilisé jusqu´à ce jour. Ce qui nous renseigne de la façon la plus complète, ce sont les documents télévisés: la télévision suédoise a filmé la Mandragore en studio en 1971 et la Télévision tchécoslovaque le Révizor. Il existe un disque 33 tours de 1968 aux éditions Supraphon avec des extraits de sept mises en scène, mais il s´agit principalement d´enregistrement de studio. C´est pourquoi nous sommes heureux d´avoir conservé la bande magnétique que l´ingénieur de son Richard Bouška a réalisée pendant des représentations – nous sommes en train de les reconstituer en collaboration avec l´association Mluvící kniha (Le livre parlant), laquelle produit des livres lus pour les non-voyants et les mal-voyants. L´ingénieur de son Pavel Musil les digitalise et les nettoie. Nous possedons déjà cinq enregistrements audio „live“ sur CD. Ce sont d´excellents documents sur l´histoire récente du théâtre, laquelle a été officiellement ignorée pendant vingt ans et c´est seulement deux décennies après 1989 que l´on commence à rechercher le chemin perdu.

Le premier directeur Jaroslav Vostrý, aujourd´hui professeur et directeur de l´Institut de recherches sur les créations dramatiques et scéniques de DAMU, et fondateur de la Société scénologique tchèque, est revenu au théâtre pour trois ans après la „Révolution de velours“ et a écrit en 1996 le livre Činoherní klub 1965-1972 / Dramaturgie dans la pratique. Depuis 1999, le directeur est Vladimír Procházka qui soutient l´activité des archives: pour le quarantième anniversaire du théâtre, nous avons préparé avec les dramaturges Roman Císař, Radvan Pácl et le graphiste Joska Skalník, le livre Činoherní klub 1965 – 2005, dans lequel se trouve le matériel photographique de 112 mises en scène, 8 études de théâtrologie et plusieurs dizaines de souvenirs et de déclarations de créateurs et de proches du théâtre. Chaque mois nous publions une revue publicitaire „Činoherní čtení“(A lire sur le Činoherní), qui revient souvent sur les personnalités et les réalisations de la troupe d´origine. A côté des archives des années 1965-1972 nous établissons des fragments de ce qui a été conservé du temps de la normalisation, des programmes, des photographies, des textes adaptés de pièces, quelques vidéos, mais les documents écrits de cette époque sont très peu nombreux et souvent de qualité inégale, parce que le point de vue idéologique l´emportait sur l´esthétique. Aujourd´hui, nous pouvons offrir aux étudiants et aux chercheurs des documents variés sur 123 mises en scène. Nous avons le sentiment que cela a vraiment un sens maintenant, parce que le théâtre tchèque souffre jusqu´à aujourd´hui de son évolution peu naturelle depuis les années 70 du fait qu´ont très longtemps été réduits au silence ceux qui avaient su librement lui donner sa forme et son être et ceux qui avaient écrit sur lui en connaisseurs.

A la fin de la 45ème saison, il est réjouissant que la pièce de Ladislav Smoček l´Etrange après-midi du docteur Zvonek Burke soit toujours au répertoire. La jeune génération a eu une expérience d´acteurs prometteuse en 2002 avec la mise en scène de la pièce de Martin McDonagh l´Ouest abandonné (Osiřelý západ) par Ondřej Sokol. Dans le contexte de l´histoire de notre théâtre, la Blague (Ptákovina) de Milan Kundera (écrite en 1966) est notable: Ladislav Smoček l´a mise en scène en 2008 et le Činoherní klub a obtenu avec elle le Prix Alfréd Radok – Théâtre de l´année. Dans un avenir proche, nous allons sans doute participer à l´exposition rétrospective de Luboš Hrůza, scénographe au Činoherní klub, qui a été à l´époque de l´émigration de 1968-1990 décorateur en  chef du Théâtre National de Norvège et artiste de renommée européenne. Ce sera peut-être l´occasion de vous rencontrer de nouveau là-bas.

Je vous remercie et au revoir à Prague.

Prague, le 19 mai 2010

Mgr. Petra Honsová
Činoherní klub, Ve Smečkách 26, Prague 1
République Tchèque